Les Équilibres Inconfortables

Le corps, en quête d’espace, s’invite dans des lieux où la matière résiste, où la liberté se heurte aux murs, aux textures, aux forces invisibles. Cette série interroge le dialogue entre mouvement et contrainte, entre l’impulsion et l’obstacle. Chaque photographie saisit un instant de bascule, là où l’équilibre devient un acte de défi.

Dans des environnements bruts, instables, parfois hostiles, les corps dansent, s’élèvent, plient mais ne rompent pas. Ils incarnent cette tension universelle entre ancrage et évasion, entre gravité et légèreté. La boue, la farine, la pierre, l’eau : ces matières, habituellement inertes, deviennent ici des partenaires de mouvement, des témoins d’un combat silencieux pour s’extraire du cadre.

La quête d’un équilibre fragile se dessine. Un équilibre inconfortable, mais nécessaire. Une exploration visuelle où l’instinct et la volonté s’associent pour dépasser les limites imposées.

Modèle : Alice LABAT

Breathe

Février 2024

Une fois projeté dans l’espace, ces légères particules de farine se métamorphosent en un véritable pinceau d'air, sculptant des formes éphémères et imprévisibles. Chaque mouvement devient une rencontre entre la matière et le vide, entre le geste et sa trace, entre l’instant et la mémoire.

La danse est un art de la liberté, et ici, cette liberté s’exprime dans sa dimension la plus organique. Chaque saut, chaque torsion dessinent des lignes dans l’espace, tel un dialogue silencieux avec la lumière. Ce qui semble immatériel et diffus dans la vie ordinaire devient un témoin palpable de l’énergie et de la grâce.

L’image interpelle par sa nature ambiguë. À la première observation, une confusion s’installe. Sommes-nous dans l’eau, face à un mouvement aquatique figé dans sa fluidité ? L’image a-t-elle été retournée, inversée pour créer cet effet de suspension irréelle ?

Alice, au cœur de cette chorégraphie suspendue, semble flotter hors du temps. Son corps s’arque en quête d’un élan vital, tandis que la farine, projetée comme une aura autour d’elle, matérialise l'invisible force de sa respiration. Elle n’est plus contrainte par la gravité. Elle s’élève, elle s’extrait du cadre et nous invite à ressentir, au-delà de l’image, cet instant de liberté pure.

Ici l'air devient tangible, le temps se fragmente et le mouvement devient une poésie silencieuse. Le souffle se fait visible, et Alice respire enfin.

Je suis l’ombre et l’éclat

Dans cette image, j’ai cherché à rompre avec les codes traditionnels du portrait en intégrant une dimension plus brute, presque viscérale. Laurine évolue dans un environnement froid, salissant et abrupt, contrastant avec l’archétype de la beauté qui lui est souvent associé. Cette dissonance visuelle renforce une dualité fascinante, à l’instar de cette fragile fleur qui se développe dans une fissure d'asphalte.

Le pont de gymnastique qu’elle exécute agit comme une passerelle symbolique entre deux mondes : l’ordre et le chaos, l’élégance et la rudesse, l’exposition et l’effacement. Mais surtout, il interroge. Cette chevelure qui glisse vers le sol, ces jambes marquées par la matière, et surtout ces yeux, dissimulés mais bien présents, qui observent en silence. Qui juge qui ? Qui questionne qui ?

L’image s’offre alors comme un miroir où chacun projette sa propre lecture.

Octobre 2024, Nantes

Modèle : Laurine Blineau
Second shooter : Sébastien Vendé

Poésie Urbaine

Novembre 2024, Nantes

Modèle : Albane Baleste

L’urbanisme est un acteur important dans mes photos. De fil en aiguille, les structures de la ville ont pris plus de place dans mes compositions. Photographier des gens est une chose, les incorporer dans un environnement apporte de la consistance et du contexte. On parle souvent de mégalopoles comme des personnes à part entière. Que serait Batman sans Gotham ? On dit que New York vit, qu’elle a une âme et sa personnalité propre. La cité est le pendant de l’Homme, son enfant, son parent protecteur et cet étranger inquiétant. Par cette photo, j’ai voulu mettre en avant la poésie de présence d’une danseuse dans un ensemble brut et oppressant. Albane est la touche de légèreté et d’humanité qui s’insère et qui s’oppose à l’étouffante pression de cette ville qui englouti.

Avril 2025

Piscine de Bretigny, Rennes

Modèle : Martine L.

Le Gouffre

Elle est là, assise à l’extrémité, suspendue entre deux mondes. Derrière elle, l’eau, lisse et profonde. Un gouffre incertain, un précipice sans fond. Au-dessus, un ciel de béton, écrasant. L’horizon tangue. L’instant est figé, mais tout dans cette posture parle de mouvement. De l’élan qui précède la chute. De l’hésitation avant le saut.

Son corps porte les traces d’un combat. Une cicatrice, discrète mais irrévocable, raconte l’épreuve traversée. Elle la dissimule sans la cacher, l’accueille sans s’y abandonner. Son regard, son sourire, son silence, ne trahissent rien d’autre qu’une vérité personnelle : celle d’un corps qui appartient encore à la vie.

Le plongeoir devient un seuil. Un lieu de passage où l’ombre de la maladie s’efface peu à peu, où le vide n’est plus seulement une menace mais une possibilité. Car au bord du gouffre, il y a aussi l’envol.

Dans le silence figé du musée, une figure ailée s’élève, vacille. Son pied nu cherche l’appui sur un socle trop net, trop plein, trop stable pour une présence instable. Elle n’est ni tout à fait statue, ni pleinement vivante. Autour d’elle, les récits sculptés observent sans vie ; les drapés de pierre tombent sans faille, les gestes figés depuis des siècles miment la grandeur. Cléliaa respire. Mais c’est un souffle contenu, un corps tendu, une silhouette en déséquilibre. Son costume d’ange dramatique, presque théâtral, dialogue avec les marbres immobiles : elle les défie autant qu’elle les prolonge.

Nature vivante

Musée d’Arts d’Angers

Modèle : Cléliaa

Mai 2025

Placée où elle n’aurait jamais dû être, elle fait irruption dans l’ordre du musée, trouble la chronologie, déstabilise le regard. Derrière elle, le tumulte glorieux des héros antiques s’élève dans un élan vertical ; elle, placée devant, oppose la douceur d’un désaccord muet. Dans cet espace conçu pour l’intemporel, sa présence rappelle l’instant.

Elle est à la fois apparition et résistance, figure anachronique entre chute et ascension, entre mythe et mascarade, entre éternité figée et fragilité humaine. Elle est l’ange de rien. Mais elle tient debout, encore.

Et dans ce face-à-face muet entre les gisants de pierre et la chair mouvante, entre la nature morte de l’histoire et la muse vivante du présent, quelque chose se fissure : le musée cesse d’être un lieu de conservation pour devenir, l’espace d’un instant, un lieu de collision. Où le passé ne domine plus. Il écoute.

Confort illusoire

Modèle : Lucile Meunier

Mai 2025, Nantes

Sous le ciel bas et filtré, au creux d'une baignoire déplacée de son monde, Lucile ne trouve pas de repos.

Elle repose sans reposer. Etiré dans une pose d'abandon, son corps contraste avec l'environnement qui l'enserre : arches massives, béton marqué, lignes implacables. Le mobilier intime est devenu objet déplacé, étranger, presque ridicule, au milieu de cet espace urbain dur.

Tout ici parle de rupture : rupture entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'attente de confort et l'impossibilité d'y accéder. Le visage tourné vers le spectateur interroge sans poser de question, suggérant une lassitude ou un abandon qui ne trouve pas sa place. La lumière, presque dramatique, souligne les volumes, accentue les tensions, amplifie le sentiment d'inconfort latent.

La photographie devient alors un tableau d'ambivalence: la baignoire, symbole de détente, devient cercueil d'immobilité. L'espace, qui devrait offrir du volume, écrase par sa monumentalité. On assiste non pas à une scène de repos, mais à une performance silencieuse où le corps tente de s'ancrer, de s'affirmer, malgré l'étrangeté de tout ce qui l'entoure.

C'est là que réside l'équilibre inconfortable : dans ce fragile entre-deux où l'humain s'installe, provisoire, au milieu de structures qui ne l'attendaient pas.